Interview exclusive • Entretien avec le réalisateur Geoffrey Gaspard pour son film « TAVELA »
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Madagascar Media a eu l’occasion de s’entretenir avec Geoffrey Gaspard, le réalisateur du nouveau film intitulé, « Tavela ». L’équipe de Madagascar Media a eu le privilège de le visionner. Un docu-reportage tourné dans la partie Nord de l’Ile de Madagascar, plus précisément à Diégo dans la région de Diana. Tavela est un docu-film inspiré de faits réels. Tavela veut dire « être mis KO » dans le dialecte Sakalava Antakaragna (Une ethnie au Nord-Ouest de l’Ile). Pour découvrir cela, nous vous invitons à voir ce docu-film qui met particulièrement en lumière un sport traditionnel Malagasy qu’est le Morengy. Geoffrey Gaspard nous révèle pour tous nos internautes ce qui l’a motivé à réaliser ce film, à travers cette interview exclusive.
1-Madagascar Media : Geoffrey Gaspard, Merci d’avoir choisi Madagascar Média pour parler de votre film « Tavela ». Votre film célèbre un art martial traditionnel Malgache qui se jouait d’antan et traditionnellement dans les soirées de pleine lune, le Morengy. C’est une forme de combat similaire à la lutte et la boxe thaï, sans protections. En commençant votre reportage par l’hymne National Malgache, vous marquez dès le début du film le caractère « endémique »de votre approche, ce qui est aussi inhérent à Madagascar : Pourquoi Madagascar et avoir choisi cet art martial traditionnel, le Morengy, méconnu du grand public ?
Geoffrey Gaspard:
Je suis Malgache et je voulais m’exprimer à travers ce film. En l’occurrence faire un état des lieux de ma ville d’origine, Diego-Suarez. La ville n’a fait que sombrer depuis 2010 et n’arrive pas à se relever. Et malgré son potentiel, la ville stagne. Le film a l’ambition de mettre en lumière cette ville et ses problèmes pour la première fois par un jeune local et non un étranger.
Le Morengy, aussi fameux qu’il soit, a été ma source d’inspiration et surtout la colonne vertébrale du film. En effet, le sport traditionnel m’a permis de toucher aux maux de Diego Suarez. Ainsi, l’on comprend qu’au-delà du Morengy, c’est de la situation des jeunes de Diego et donc leur future dont il est question.
« TAVELA » veut dire 3 choses : « être mis KO » dans le jargon du Morengy, « rester » ou « en rester » et « être bloqué, stopper » de manière péjorative. C’est du dialecte Sakalava Antakaragna. Je voulais donc immerger l’audience dans ce monde, qui est le mien. Et l’hymne au début est pour rendre hommage à Madagascar et mettre en valeur surtout les images qui y sont superposées. A l’audience de se faire une opinion.
2- Qu’est-ce que le Morengy ? Pouvez-vous nous présenter ce sport traditionnel Malgache ? Est-ce qu’il y a des règles particulières ? qui peut le pratiquer ?
Le Morengy est un art de combat traditionnel. J’ai fait des recherches quant à ses origines mais elles méritent que des vrais historiens travaillent sur le sujet car cela peut remonter jusqu’en Angola ou même l’Égypte Ancienne. C’est un sujet très dense.
Il y a des règles particulières telles que 3 rounds de 30 secondes tellement c’est intense. Le Morengy peut varier selon les régions Nord. Par exemple à Diego-Suarez, on peut utiliser les coups de pieds alors qu’à Majunga, c’est interdit. Il se pratique dans les villages, pendant les événements ou dans les grandes villes, comme des championnats régionaux. Les pratiquants sont les jeunes hommes entre 10 et 30 ans. Mais l’on voit de plus en plus de femmes s’initier au sport. Néanmoins, l’on peut mentionner son caractère très violent.
3- Le Morengy est aussi un instrument de musique traditionnel ?
Tout dépend des recherches approfondies, les versions peuvent varier selon les personnes. Mais aujourd’hui plus personne ne cherche à comprendre mais préfère regarder le spectacle.
4- On y voit des témoignages d’anciens lutteurs ou combattants, mais aussi des gens qui luttent pour la gloire, la transmission et la pratique de ce sport traditionnel, alors pour vous quelles perspectives peut-on porter sur le Morengy à Madagascar ?
Le sport ne cesse d’évoluer dans le bon sens mais toujours avec une touche, si je puisse dire, Malgache. Car on se rapproche des combats de kickboxing et des rings mais les règles et la façon de se battre est un peu plus freestyle. Ainsi l’on peut comprendre un genre de mariage entre le passé et le présent, et le local avec l’international.
5- Dans ce film, on parle de la jeunesse Malgache, de sa force, de sa combativité, de sa puissance, mais aussi de son addiction aux drogues, de la magie, de possession, de transe, la question du corps et de la virilité y sont prépondérantes, on y est fiers de montrer ses cicatrices, on y montre ses muscles, quel regard portez-vous sur la jeunesse Malgache ? qu’est-ce que vous avez voulu chercher à sonder dans ce film ?
Je pense que la jeunesse Malgache, moi inclus, nous sommes en perte de repères, on ne connaît pas trop notre histoire et on ne sait pas trop où l’on se dirige vu les opportunités de travail au pays et le système qui s’effondre à chaque crise politique, économique et maintenant sanitaire. Je pense que c’est en regardant le film que l’on pourra mieux comprendre ce dont je veux parler, mes mots ne seront pas suffisants, il faut vivre, même à travers un film, cette expérience.
6- Abordons la professionnalisation du Morengy qui est passé du simple jeu traditionnel au clair de lune à un moyen de subsistance ? Comment voyez-vous et interprétez cette évolution, ce déplacement des enjeux du terrain traditionnel au professionnel ?
Il y a un manque notoire de structuration du sport. Il est populaire et des gens vivent de ce sport mais il ne permet pas la pérennisation d’une manière adéquate de la discipline. Il faudrait que le Ministère de la Jeunesse et des Sports et les autorités concernées s’intéressent davantage au Morengy car cela fait partie d’une des cultures Malgaches et une réglementation écrite est à créer.
7- Est-ce que le Morengy d’aujourd’hui a-t-il perdu son essence ou est-il devenu un sport violent ou bien c’est devenu une nouvelle forme d’authenticité façonné par une nouvelle génération de jeunes qui veulent réussir ?
Les nouvelles générations ne cessent de modifier les codes et c’est de la sorte que le sport reste en vie et donc continue d’évoluer. Je suis d’accord pour la conservation de la culture mais également il faut s’adapter à l’évolution de la vie. C’est aux acteurs et amateurs de cette discipline d’en décider. D’une manière ce sport a perdu son essence traditionnelle mais elle est retrouvée car elle est recréée par les jeunes d’une nouvelle manière.
8- Le Morengy, cet art martial traditionnel pourrait-il être un facteur de développement d’épanouissement de la jeunesse ? quel est votre avis personnel sur cette question ?
Tout art martial ou plus largement tout sport permet le développement de la jeunesse à différent niveau, la discipline, le respect, l’humilité, le courage, etc. Je pense que cet art martial n’est pas différent de ces cousins, comme la boxe ou le karaté. Il faut juste accompagner et surtout encadrer ces jeunes car il y a du potentiel. S’ils sont bien encadrés et soutenus en termes de santé et de matériel, je pense que rien ne pourra les arrêter à être les meilleurs dans leurs disciplines.
9- Votre dernier mot ? Avez -vous d’autres projets en cours ?
Je ne compte faire des films qu’à Madagascar et ainsi favoriser le développement du Cinéma national. J’ai été formé en Inde pendant 3 ans à la Cinématographie et j’étais à Bollywood, cela m’a beaucoup inspiré à créer et j’espère pouvoir mettre en œuvre mon savoir faire au pays. Tout ce qu’il y a sur notre île m’inspire pour écrire des scripts. Je déplore néanmoins le manque de soutien financier aux professionnels du Cinéma car il y a tant à faire et à développer. J’ai de nombreuses idées et des projets de films, documentaires et fictions, musique, vidéos mais aussi publicités à Madagascar. J’ai financé moi-même TAVELA, mais j’espère que lors de l’exécution des prochains films je pourrai trouver des sponsors et des mécènes pour un jour voir mes films raconter Madagascar, à l’international. Enfin, à travers mes prochains films, à l’instar de TAVELA, je veux raconter des histoires Malgaches et apporter une nouvelle vision du pays.
« Tavela », est une invitation à découvrir le Morengy, une invitation à vivre pleinement et intensément sa jeunesse, un art martial traditionnel Malgache en pleine transformation vers sa professionnalisation. Ce film célèbre aussi la force de la jeunesse Malgache et la promesse d’une réussite par l’effort et l’entrainement. On y déplore aussi la perte d’une identité, d’une culture authentique, d’une jeunesse déboussolée qui réinvente à sa façon la pratique d’un art martial traditionnel. Un film qui vous laisse perplexe entre espoir et nostalgie… à voir absolument sur Youtube ! Cher Geoffrey Gaspard, Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.
Le film TAVELA est le premier film Malgache à être programmé en salle de cinéma à Madagascar. Ainsi du 17 au 23 janvier 2020, à Cinépax à Antananarivo, le film y faisait ses premiers pas. Il y a eu un franc succès et il y avait un programme chargé pour la projection du film partout à Madagascar. Mais après l’impact de la crise COVID-19 et l’échec des projections, Geoffrey Gaspard a décidé de sortir le film sur sa chaîne youtube le 27 mars 2020 pour un accès à l’international et à tout moment. C’est certes une balle dans le pied pour le cinéaste car pour se faire connaître et faire connaître son travail, il a dû faire quelques sacrifices.
Mandrapitafa.
Propos recueillis par Fabien G. Razakandrainibe – Madagascar Media
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