
Le droit recule, la force avance : une chance pour une Afrique souveraine ?

À Paris, lors du Forum « Investir en Afrique » organisé par L’Opinion et le CIAN, l’ancien Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin n’a pas mâché ses mots : « Le droit recule, la force avance ». Cette phrase, bien plus qu’une formule, sonne comme un diagnostic sans appel de l’état du monde. Mais elle est aussi, à bien y regarder, une invitation : celle à penser une réponse collective, lucide et stratégique. Et pour nous, Africains, à sortir enfin du rôle d’observateurs périphériques pour occuper le centre du jeu.
L’ordre mondial en dérive lente
Loin des discours lénifiants sur le « monde multipolaire », Raffarin pointe une réalité plus brutale : nous assistons non pas à un partage équilibré des puissances, mais à une dislocation des règles du jeu. Le multilatéralisme, qui prétendait offrir une voix à chacun dans le concert des nations, s’essouffle. L’ONU est paralysée, l’OMC est contournée, le droit international est piétiné chaque fois qu’il contrarie les intérêts d’une grande puissance.
Ce retour du rapport de force brut n’est pas nouveau, mais il s’accélère. Guerre en Ukraine, bras de fer sino-américain, tensions au Sahel ou en mer Rouge : partout, la règle devient l’exception, la puissance fait loi. Et face à ce basculement, la plupart des institutions peinent à exister autrement que comme des forums symboliques.

Les BRICS élargis contre le G7 : un monde à deux vitesses
Le duel entre Washington et Pékin structure désormais le paysage international. La guerre commerciale est devenue guerre des normes. Les BRICS, élargis à des puissances régionales comme l’Arabie Saoudite ou l’Iran, veulent remodeler la gouvernance mondiale selon leurs intérêts. Le G7, de son côté, se referme sur une vision sécuritaire et technologique de l’alliance occidentale.
Mais entre ces deux pôles, l’Afrique est-elle simplement une arène secondaire ? Un terrain de jeu pour diplomaties concurrentes, ou un acteur à part entière ? La question n’est plus rhétorique. Elle est stratégique.
L’Afrique, le grand absent des décisions mondiales
C’est là que l’intervention de Jean-Pierre Raffarin prend tout son sens. Il souligne ce paradoxe central : l’Afrique est au cœur des convoitises, mais en marge des décisions. Le continent détient les ressources du futur — minerais critiques, biodiversité, capital humain — mais il reste prisonnier d’un logiciel ancien, celui de la dépendance et de la fragmentation.
Notre sous-représentation dans les grandes instances internationales n’est pas qu’un enjeu symbolique : elle se traduit par une incapacité à défendre nos intérêts dans les négociations commerciales, climatiques ou sécuritaires. Elle alimente cette forme d’infantilisation diplomatique dont les conséquences sont bien réelles.
La fin des illusions et le devoir de lucidité
Il serait naïf de croire que l’Afrique retrouvera sa voix simplement par le jeu diplomatique. Le respect ne se quémande pas : il se conquiert. Cela implique un changement radical de posture. Non plus demander à être entendus, mais agir comme des co-architectes du monde qui vient.
Cela suppose d’abord une volonté politique ferme, au sein de chaque État et à l’échelle continentale. Ensuite, une stratégie d’unité et de solidarité entre les nations africaines. Et enfin, une capacité à penser le long terme, en investissant massivement dans l’éducation, la santé, l’innovation et la souveraineté économique.
Une Europe fragilisée, un pont possible
Raffarin ne cache pas son inquiétude pour l’Europe. Lui qui fut un artisan du dialogue euro-africain observe aujourd’hui une Union européenne hésitante, divisée, absorbée par ses propres vulnérabilités. Mais cette fragilité peut aussi être une opportunité.
Une Europe qui doute peut-être une Europe qui écoute. L’Afrique ne doit pas s’en contenter, mais s’en servir pour proposer un partenariat renouvelé, fondé sur la réciprocité, et non sur l’aide ou la tutelle. Il ne s’agit plus de « recevoir », mais de négocier, proposer, co-construire.
Reprendre la parole, pour retrouver notre puissance
En affirmant que « le droit recule, la force avance », Raffarin lance une alerte. Mais il esquisse aussi une réponse : la seule manière de défendre le droit est d’être assez fort pour qu’il s’applique. Pour l’Afrique, cela passe par la reconquête de son pouvoir stratégique : économique, politique, diplomatique, culturel.
Nous devons désormais parler d’égal à égal, non plus sur le terrain des discours, mais sur celui des actes. Les alliances du futur se construisent aujourd’hui. Et le temps des spectateurs est révolu.