JEAN-LOUIS RAFIDY, le déclencheur de la carrière des Surfs
Le 30 juillet 1963 à Antananarivo, une grande surprise pour nous Les Béryls (Rabaraona 6 mianadahy). On annonçait notre participation à un spectacle télévisé à Paris pour le 8 septembre. La Radio Télévision Française (RTF) nous invitait au Salon International de la Radio et de la Télévision organisé à la Porte de Versailles pour l’inauguration de la chaîne 2, avec un éventuel spectacle au Luxembourg. C’était une nouvelle qui avait fait l’effet d’une bombe.
Deux semaines avant notre départ, le gouvernement avait désigné Jean-Louis Rafidy, la voix d’or de la radio nationale dans le temps, comme notre accompagnateur durant notre court séjour en France. Deux semaines avant notre départ, il prenait l’avion pour Paris afin de préparer notre arrivée. Le jeudi 5 septembre 1963, nous avions pris le vol Antananarivo-Paris à l’aéroport international d’Arivonimamo. Vers huit heures du matin le lendemain, le Boeing 707 d’Air France avait atterri à l’aéroport de Paris Orly. Dès notre descente d’avion, Jean-Louis Rafidy nous avait accueillis et nous avait pris en charge. Le temps de vérifier nos passeports à la Sécurité et récupérer nos valises, il nous emmenait au Foyer Universitaire Malgache de Cachan où nous allions demeurer pendant notre séjour à Paris.
La veille du spectacle, Jean-Louis Rafidy nous avait introduits auprès des producteurs et du personnel de la future deuxième chaîne. En arrivant à Paris bien avant le groupe, il avait déjà discuté avec eux, présenté notre répertoire qui avait été accepté. Nos chansons choisies étaient dans l’ordre : « Les trois cloches », Petite fleur », « Marin » (extrait de notre disque sur étiquette Rex), et une chanson d’Henri Ratsimbazafy, « Le lamba blanc » .
Après la répétition au studio de la télévision, Jean-Louis Rafidy nous emmenait faire quelques balades dans les rues de Cachan, histoire de prendre un peu d’air. Plus tard, il nous emmenait dans un restaurant pour un petit snack avant de rejoindre le Foyer Universitaire Malgache de Cachan. Il agissait avec nous comme un grand frère, un zoky be.
Le dimanche 8 octobre, c’était le grand jour. La fin de notre performance fut saluée longuement par les animateurs et les invités présents sur le plateau. Dans les coulisses, on pouvait voir la joie et la fierté de Jean-Louis Rafidy.
Pendant notre court séjour à Cachan, nous étions invités à participer à des émissions de radio pour Madagascar, surtout à l’Office de Coopération Radiophonique (OCORA) à Maisons-Laffitte (Yvelines). Barijaona et sa femme Odette Suzanne, un très célèbre duo de chanteurs-compositeurs malgache, nous recevaient pour des interviews, chanter à cappella. Jean-Louis Rafidy avait programmé cette rencontre pendant sa présence à Paris. Dans la bonne humeur, nous avions eu le privilège et la chance de rencontrer nos idoles dont les chansons ne cessaient de passer sur les ondes de la radio nationale: Vorona ô, Manimanina, Andeha hilalao, Bako, etc.…
Mais la plus grande surprise de notre séjour venait de Jean-Louis Rafidy lui-même. À peine une semaine après notre performance à la Porte de Versailles, il nous annonçait un rendez-vous avec une maison de disques à Paris alors que nous étions en pleine préparation de notre retour chez nous. Vu qu’il avait organisé tout notre séjour avant notre arrivée, j’avais donc conclu qu’il en avait largement profité pour essayer de nous trouver une place dans le monde du spectacle français. Il croyait fermement en nos talents après tous ces succès que nous avions récoltés au pays, et il attendait sûrement celui du Salon de la Radio et de la Télévision pour tout concrétiser et avoir des preuves solides de nos talents. Un matin, arrivant par le train RER B de Cachan à la gare St Lazare et ensuite par le métro, toujours accompagnés par Jean-Louis Rafidy qui nous servait cette fois-ci de conseiller, nous nous dirigions vers notre rendez-vous. La maison de disques choisie était les Disques de France Festival, située au 3 rue de Grammont dans le 2è arrondissement. Dans une salle d’attente, nous exprimions nos inquiétudes à voix basse, et je sentais une nervosité envahir la famille. C’était la première fois que nous allions rencontrer ceux qui, peut-être, seraient les responsables de notre future carrière artistique, mais cette fois-ci en France. Mais Jean-Louis était près de nous et, en grand frère, nous transmettait sa confiance en nous. Quelques minutes après notre arrivée, un monsieur entrait en nous saluant avec un sourire. Il se présentait comme étant le directeur artistique de la maison: Roger Marouani. Après nous avoir adressé quelques mots de bienvenue, il nous entraînait vers le bureau du directeur général, André Chagneau. On nous demandait un peu des informations sur notre groupe, ce que nous aimions. Et Jean-Louis ajoutait ses commentaires positifs pour témoigner de nos talents. Dans un petit studio adjacent du bureau, afin de savoir notre façon de chanter et notre style, nous avions fait une mini audition avec des chansons de notre répertoire. Les deux responsables nous écoutaient avec beaucoup d’intérêt et d’attention et souriaient de temps en temps comme pour nous exprimer leur contentement. Emballés, ils nous demandaient si nous serions intéressés à signer un contrat avec la maison de disques, en nous promettant que nous serions de grandes vedettes de la chanson. Jean-Louis Rafidy leur expliquait que, les coutumes malgaches étant ancrées en nous et aussi à cause de nos études, nous devrions demander l’autorisation de nos parents avant de signer un quelconque contrat professionnel. Avec ce contrat, nous serions obligés de rester en France pour un temps indéterminé et que nous devrions aussi abandonner nos études. André Chagneau et Roger Marouani étaient très conscients de cela. Après nous avoir tranquillisés l’esprit, et avec les suggestions de Jean-Louis Rafidy, André Chagneau décrochait son téléphone et commençait à appeler papa à son bureau après qu’il eut reçu ses coordonnées. Probablement surpris au téléphone, papa avait parlé très longtemps avec le directeur général, demandant des éclaircissements et des informations pertinentes avant d’acquiescer verbalement. Jean-Louis Rafidy aussi lui avait adressé quelques paroles de confiance et d’encouragement. Au bord de larmes de joie, nous avions remercié papa chacun au téléphone en lui promettant que tout irait très bien et que allions prendre bien soin de nous. Le 26 septembre 1963, le contrat était finalisé. Il ne restait plus qu’à opposer la signature de papa pour autorisation paternelle, Nicole étant encore mineure. Déjà, la machine était mise en route. De retour à Cachan, nous nous exprimions chacun sur cette merveilleuse expérience et sur cet accord du contrat avec les Disques de France Festival. Jean-Louis Rafidy était fier de nous, nous félicitait et nous annonçait que sa mission d’accompagnateur allait se terminer bientôt. Il allait rester encore quelques jours avec nous, histoire d’être sûr que tout irait bien et lorsque nous serions capables de nous prendre en main avec l’aide de Roger Marouani. Un vrai zoky be. J’avais cru comprendre qu’il retournait au pays sans nous. Cela m’a rendu un peu triste car nous nous étions attachés à lui. En attendant le départ de Jean-Louis Rafidy, il nous fallait nous trouver un hôtel pas loin de la maison de disques pour faciliter nos déplacements. Dès lors, il nous fallait aussi nous habituer à nous appeler LES SURFS. Et la suite, on la connaît.
Merci Jean-Louis Rafidy d’avoir cru en nos talents. Merci de nous avoir introduits dans ce monde artistique international. Merci de nous avoir dirigés, conseillés comme un grand frère, un zoky be, pendant nos premiers pas en France. Merci d’avoir été patients envers nous. Merci d’avoir accompli ce que tu voulais faire de nous: de grandes vedettes internationales.
Pour toi, Jean-Louis Rafidy, notre zoky be, c’est mission accompli depuis longtemps. Nous pouvons te dire maintenant: « À présent tu peux t’en aller ».
Reposes en paix, tu l’as bien mérité. Nous prions Dieu pour qu’Il puisse t’accepter à ses côtés. Nous ne t’oublierons jamais.
À ta famille, nous offrons nos plus sincères condoléances. Nous sommes là en pensée avec vous pour atténuer votre tristesse et votre chagrin.
Rocky A. Harry Rabaraona
Les Surfs