Sélectionner une page

Un continent en mutation bancaire : l’Afrique entre désengagements européens et éclosion panafricaine

Un continent en mutation bancaire : l’Afrique entre désengagements européens et éclosion panafricaine
Le Forum « Investir en Afrique », organisé conjointement par le CIAN et L’Opinion, aura levé un voile nécessaire sur une transformation silencieuse mais fondamentale : la recomposition du paysage bancaire africain. De Paris à Dakar, d’Abidjan à Casablanca, les lignes bougent. Le terrain bancaire africain se dérobe à ceux qui n’ont pas su y croire, et se recompose au profit de ceux qui investissent dans le long terme. Un glissement tectonique, où les silences valent parfois davantage que les discours.
Ce qui frappe d’emblée, c’est le rythme. Ça bouge énormément, résume un intervenant. Ce mouvement n’est pas anecdotique : il traduit une rupture de paradigme. Les banques à capitaux africains, naguère timides, s’affirment aujourd’hui comme des acteurs clés. Attijariwafa Bank, Bank of Africa, BCP, Ecobank ou encore les établissements nigérians jouent désormais les premiers rôles, là où des géants européens — notamment français — battent en retraite. Une réalité que nul ne peut plus ignorer.

Une énigme française

Le retrait des banques françaises — Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole — soulève son lot d’incompréhensions. Ces établissements, obsédés par les normes de conformité, les risques de compliance et les exigences de rentabilité à court terme, semblent sacrifier l’avenir sur l’autel d’une prudence excessive. Une stratégie qui interroge, surtout lorsque les banques quittaient des marchés dynamiques, où la croissance et les besoins sont criants.
« En tant qu’économiste, je continue de penser que l’Afrique reste le continent du XXIe siècle », rappelle un intervenant, non sans amertume. La critique est directe, assumée, et révélatrice : le désengagement européen, particulièrement français, ne se justifie pas économiquement. Il est, avant tout, politique et structurel.

L’irrésistible ascension panafricaine

Face à ce désistement, les banques marocaines descendent en Afrique subsaharienne, pendant que les sud-africaines remontent. Les nigérianes, elles, s’affirment sans complexe. Cette recomposition se double d’une dynamique nouvelle : celle des fusions-acquisitions, nécessaires pour atteindre la taille critique et rivaliser avec les fintechs, dont la croissance est, elle aussi, fulgurante.
Ce nouvel écosystème bancaire ne se contente pas d’être une réplique de l’ancien : il innove, s’adapte, contourne les rigidités héritées du Nord. Les fintechs comme Orange Bank Africa, Wave ou Free Money réinventent la relation bancaire. En 2024, Orange Bank Africa a octroyé plus de 5 millions de microcrédits — en moyenne 110 euros par crédit. Aucune banque traditionnelle ne peut rivaliser à ce niveau de granularité. Le digital bancaire devient un levier d’inclusion pour les laissés-pour-compte du système financier classique.

Un financement en panne pour les PME

Mais cette révolution n’est pas exempte de paradoxes. Car dans le même temps, les PME africaines — qui forment pourtant l’épine dorsale de l’économie formelle et informelle — peinent à obtenir un financement. Dans de nombreux pays, obtenir un crédit bancaire exige encore une couverture de garantie à 100%. Un seuil rédhibitoire, qui exclut de facto une immense majorité d’acteurs économiques.
Le constat est alarmant. Si les banques à capitaux africains reproduisent les exigences prudentielles des banques européennes, rien ne changera. Le système bancaire restera élitiste, fermé, incapable de créer des champions économiques. Et ce, alors même que les outils de notation, de scoring digital et de finance communautaire offrent de nouvelles opportunités d’évaluation du risque.

Une régulation trop rigide et inadaptée

Autre point noir : la réglementation. Qu’il s’agisse de Bâle III pour les banques ou de Solvabilité II pour les assurances, les normes importées d’Europe sont souvent appliquées à l’identique en Afrique — sans adaptation aux réalités du terrain. Résultat : une finance trop chère, trop complexe, et parfois contre-productive. « Pourquoi appliquer les mêmes ratios à un entrepreneur de Ouagadougou qu’à un industriel de Lyon ? », interroge un paneliste. Une homogénéisation qui frôle l’absurde.
La fragmentation réglementaire entre États, notamment sur les flux interrégionaux, aggrave encore les choses. Paradoxalement, il est parfois plus facile d’envoyer de l’argent d’Europe vers l’Afrique que d’un pays africain vers un autre. Et à cela s’ajoute un appétit fiscal croissant des États, qui voient dans les opérateurs digitaux une source de revenus faciles — au risque de freiner l’inclusion financière.

Une solution africaine pour un défi africain

Il est temps, selon plusieurs experts, de sortir de la simple reproduction de modèles venus d’ailleurs. L’avenir du financement en Afrique doit être pensé en Afrique, pour l’Afrique. Cela implique une meilleure mobilisation de l’épargne informelle, le développement de produits financiers adaptés à la base de la pyramide, mais aussi une intégration régionale accrue, y compris monétaire.
Car sur ce dernier point aussi, les ambitions ne manquent pas, à commencer par la création d’une monnaie régionale, l’Eco. Mais la route est longue, semée d’embûches politiques, techniques et diplomatiques. À court terme, une réforme pragmatique du franc CFA, adossée à un renforcement des banques centrales africaines, semble plus réalisable.

Une bifurcation historique

Le continent africain fait face à une bifurcation historique de son système bancaire. Le départ des banques européennes est une perte — mais aussi une opportunité. À condition que les acteurs publics et privés africains sachent s’en saisir. Il s’agit désormais de bâtir une architecture financière souveraine, inclusive, et résolument tournée vers le développement.
Si l’Afrique est bien le continent du XXIe siècle, alors il lui faut des banques à la hauteur de ce destin.
Un continent en mutation bancaire : l’Afrique entre désengagements européens et éclosion panafricaine
Un continent en mutation bancaire : l’Afrique entre désengagements européens et éclosion panafricaine

A propos de l'auteur

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *