
Génération Z en révolte : Madagascar au seuil d’un nouveau départ ?

Les rues d’Antananarivo, d’Antsirabe, de Diégo, de Majunga etc. des grandes cilles à Madagascar bruissent encore de cette jeunesse qui, pour la première fois depuis longtemps, a fait trembler les murs d’un pouvoir trop habitué au confort de l’impunité. On l’appelle la Génération Z, comme ailleurs dans le monde. Mais ici, elle porte des revendications qui dépassent la mode des hashtags : elle crie sa soif de dignité, son exaspération devant l’absurde quotidien des coupures d’eau, des délestages interminables, de la corruption banalisée.
Nous vivons un moment historique. Car à travers ces manifestations, c’est bien plus qu’un gouvernement qui est interpellé : c’est une architecture entière de la vie politique malgache qui est remise en cause.
Le poids du mythe de Sisyphe
Depuis des décennies, Madagascar s’enferme dans une boucle sans fin : espoirs électoraux vite déçus, révoltes avortées, retours à la case départ. Un éternel recommencement qui ressemble au mythe de Sisyphe. Le peuple pousse la pierre de l’espérance jusqu’au sommet, et la voit retomber aussitôt sous le poids des mêmes logiques : clientélisme, personnalisation du pouvoir, corruption, financiarisation outrancière de la politique.
La question est donc posée : cette génération saura-t-elle briser la malédiction ? Ou sera-t-elle, à son tour, broyée par la mécanique infernale du désenchantement ?
Une révolte générationnelle, mais pas seulement
Certes, les jeunes occupent les premiers rangs. Mais derrière eux, c’est toute une société qui murmure – voire qui hurle – les mêmes frustrations. La Génération Z n’est pas isolée : elle incarne une voix collective qui demande un “nouveau départ”. Elle refuse l’idée qu’un avenir puisse encore se construire dans un pays où l’on doit réviser son emploi du temps au gré des délestages, où la réussite politique se mesure en portefeuilles ministériels monnayés, où les rêves migratoires remplacent l’espérance nationale.
Ce mouvement doit être entendu pour ce qu’il est : un appel radical à reconstruire Madagascar sur d’autres bases.
Les limites d’une Constitution en otage
On pourrait croire que la solution est simple : appliquer la Constitution, renforcer les institutions. Mais à quoi sert une Constitution quand elle est vidée de sa substance par des pratiques prédatrices et corrompues ? Quand la séparation des pouvoirs n’est qu’une façade et que la justice se retrouve elle-même captive des intérêts politiques ? Quand les partis politiques se transforment en guichets de financement et non en lieux de débat idéologique ?
La limite n’est pas seulement juridique, elle est structurelle. Une Constitution, même la mieux écrite, ne protège pas si elle est parasitée par la corruption systémique et l’argent-roi.
Quelles pistes pour un nouveau départ ?
Plusieurs questions s’imposent, et elles valent plus que des slogans :
- Refonder ou réformer ?
Faut-il une nouvelle Constitution issue d’une Assemblée constituante représentative de toutes les composantes du pays – jeunes, paysans, diaspora, femmes, société civile – ou faut-il sauver l’existant en l’assainissant ?
- Démocratie participative ou délégation électorale ?
Peut-on encore se contenter d’un système où l’on vote tous les cinq ans pour ensuite subir cinq années de promesses trahies ? Ou faut-il inventer des mécanismes participatifs réguliers : référendums locaux, contrôle citoyen des budgets, plateformes numériques de suivi des politiques publiques ?
- Dépolitiser les services essentiels
L’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation ne peut pas être laissé aux mains des calculs politiques. Ce sont des droits fondamentaux qui doivent être sanctuarisés, protégés par des autorités indépendantes dotées de vrais pouvoirs.
- Assainir le financement politique
Tant que les campagnes seront financées par l’argent opaque des réseaux d’affaires mafieux, aucune réforme institutionnelle ne tiendra. La transparence et le plafonnement des financements doivent être inscrits noir sur blanc, avec des mécanismes de contrôle citoyen.
- Donner une place institutionnelle à la jeunesse
Pourquoi ne pas imaginer un Conseil national de la jeunesse doté d’un pouvoir consultatif obligatoire sur les grandes orientations, et de relais locaux à l’échelle des communes ?
- Le pari de la dignité
La Génération Z malgache aspire à autre chose qu’à la survie. Elle veut vivre debout, avec dignité. Elle veut prouver qu’ici aussi, un pays peut se relever sans attendre un sauveur providentiel ou une manne étrangère.
Mais il faut le dire avec lucidité : aucune révolte ne devient révolution sans organisation, sans projet clair, sans continuité. Le défi de demain sera donc de transformer l’énergie de la rue en une force politique constructive, sans se laisser avaler par les vieilles pratiques et parties politiques en quête de pouvoir.
- Rompre le cycle
Rompre le cycle de Sisyphe, ce n’est pas seulement abattre une pierre ou changer de visage au sommet de l’État. C’est construire des institutions qui résistent aux hommes et aux intérêts. C’est instaurer une culture politique où le pouvoir n’est plus une rente, mais un service.
La Génération Z a ouvert une brèche. À nous tous de décider si elle restera une étincelle vite éteinte, ou le foyer d’un véritable renouveau national.