Intellectuels de la Diaspora malagasy : comment bâtir, développer, faire émerger Madagascar en Afrique ?
CO-FONDATEUR & REDACTEUR EN CHEF
Spécialisé dans la communication et l’analyse politique. Il intervient notamment sur les médias spécialisés sur l’Afrique.
gregory.sileny@madagascar-media.com
Intellectuels de la diaspora malagasy : comment bâtir, développer, faire émerger Madagascar en Afrique ? Dans deux ans, la campagne présidentielle sera dans un état de plénitude avec une lutte acharnée pour occuper la fonction suprême au sein de l’état malagasy. Plus qu’un homme, au-delà des partis, des obédiences, il convient pour chaque malagasy de s’interroger, à savoir qu’est-ce que nous pouvons proposer pour installer Madagascar parmi les pays africains développés ? Dernièrement, Madagascar était invité par le Medef pour renforcer les échanges commerciaux, les investissements, le partenariat public prive, non seulement avec la France, mais également avec les pays appartenant a la communauté francophone ce qui représente aujourd’hui 18 % du PIB mondial.
Pour réfléchir ensemble, changer nos habitudes partisanes qui nous ont causé trop de torts par le passé, Madagascar Media est allé à la rencontre d’un panel d’intellectuels malagasy qui se sont conformés aisément à ce principe transpartisan. Dans l’intérêt de Madagascar, il s’agit donc de recueillir l’avis de ces femmes et ces hommes qui souhaitent participer au changement de la Grande île par leurs idées, leurs réflexions et leurs propositions concrètes. Pour commencer notre rencontre avec la Diaspora, nous avons échangé longuement avec Mamy Andrianasitera, économiste de formation, il a occupé des postes au sein de firmes internationales comme Alcatel et General Motors. Voici la première partie de notre entretien portant sur l’Économie.
Pour commencer, dans un souci éthique et d’honnêteté intellectuelle, ce qui nous permettra déposer le cadre de cet entretien, en cette période de crise sanitaire mondiale, il est difficile d’imputer une responsabilité à la Présidence RAJOELINA, autrement dit rendre responsable la présidence actuelle de l’état actuel de l’économie malagasy, eu égard à la crise sanitaire ?
Pour rappel, aucun pays n’avait expérimenté une telle situation sur le plan sanitaire dans l’économie mondialisée à laquelle nous appartenons, ce qui a ébranlé des nations fortes comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni ou des nations émergentes comme le Brésil et l’Inde, quid d’un pays comme Madagascar… Pour commencer, dans un souci éthique et d’honnêteté intellectuelle, ce qui nous permettra de poser le cadre de cet entretien, en cette période de crise sanitaire mondiale, il est difficile d’imputer une responsabilité à la Présidence RAJOELINA, eu égard à la crise sanitaire ? Pour rappel, aucun pays n’avait expérimenté une telle situation sur le plan sanitaire dans l’économie mondialisée à laquelle nous appartenons, ce qui a ébranlé des nations fortes comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni ou des nations émergentes comme le Brésil et l’Inde, quid d’un pays comme Madagascar…
Tous les présidents successifs depuis l’indépendance ont chacun leur responsabilité quant à la situation économique et sociale du pays. On ne peut en dédouaner aucun.
A y bien réfléchir, on pourrait dire que la pandémie mondiale du COVID-19 est un mal pour un bien pour les pays sous-développés, car elle remet en question la politique et la stratégie de globalisation du système économique. Les compteurs sont remis à zéro pour tous les pays. C’est une occasion pour les pays comme Madagascar pour s’accrocher au wagon du développement.
Les pays développés revoient leur stratégie pour ne plus subir les méfaits des facteurs exogènes au process de l’économie comme la pandémie sanitaire. Cette modification stratégique est aussi favorisée par la prise en compte des problèmes climatiques, plus particulièrement les empreintes carbone et biodiversité qui font partie des critères d’évaluation des moins disant d’un process.
Pour ce qui est de la résilience des pays face à ces pandémies ou toute autre crise, les pays développés, du fait de la régionalisation de leur système économique par le biais de la mutualisation, peuvent amortir les conséquences de la pandémie en soutenant leurs acteurs économiques et leurs populations. Ils ont la faculté à faire fonctionner virtuellement leur planche à billets.
Pour les pays du Sud, même avec les aides internationales, ils n’ont pas cette capacité de résilience, ils sont doublement pénalisés économiquement et socialement. Quasiment toutes les offres pour répondre aux besoins de leurs populations et de leurs acteurs économiques proviennent des importations. Mariée à la faiblesse des monnaies nationales et la mauvaise gouvernance, la structure de leur offre devient un facteur multiplicateur de vulnérabilité.
À cause de la pandémie, les industriels et entrepreneurs des pays développés relocalisent leurs sites de production sauf celles du numérique qui n’ont pas de frontière. A cause de ces relocalisations, les acteurs économiques des pays du sud doivent saisir cette opportunité pour réorienter leur politique économique vers la satisfaction des besoins nationaux par des productions nationales.
Le seul secteur qui ne nécessite pas de relocalisation est le quartaire. Le digital est un des facteurs clef de l’économie mondiale de demain grâce à l’Intelligence Artificielle et au Big Data. C’est une opportunité que les pays du sud doivent saisir pour rattraper les soixante ans de retard économique.
Continuons sur le volet économique, qui est un pilier du développement, si nous souhaitons entrevoir une société plus rayonnante et plus juste pour Madagascar. Depuis 2001, Madagascar a choisi le libéralisme économique comme la majorité des pays de la communauté internationale y compris en Afrique, comme nous l’observons en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Est-ce qu’il s’agit de la solution incontournable et adaptée pour Madagascar ?
La question de savoir si le libéralisme économique est un système adapté pour Madagascar est un faux problème. Car quel que soit le système économique, son efficacité et son efficience dépendent du contexte dans lequel il est appliqué. La question qu’on devrait se poser c’est « quelles sont les raisons qui empêchent les pays du sud de profiter des vertus du libéralisme économique ».
Pour répondre à cette question, On peut se référer aux œuvres de Douglass C. NORTH, John Joseph WALLIS et Barry R. WENGAST dans lesquelles ils expliquent la relation entre la « Violence et les ordres sociaux ». Ils y développent l’histoire de l’humanité depuis dix mille ans. Leurs recherches et études les ont amenés à conclure que « C’est l’accès ouvert aux organisations (partis politiques, acteurs économiques, syndicats, médias, ONG et autres) qui garantissent le niveau politique et économique. »
Le processus du développement économique qu’on peut résumer par la quête de la rente financière et des privilèges, commence par la mise en place d’un État ouvert, équivalent aujourd’hui à un État assurant un très bon « DOING BUSINESS ». Ce qui n’est pas le cas dans la majorité des pays sous- développés. On peut faire un parallèle entre le système économique et la loi constitutionnelle d’un pays. Toutes les constitutions ont les mêmes objectifs comme le sont les systèmes économiques, ce sont les moyens pour y parvenir qui diffèrent. Depuis la nuit des temps, l’homme par nature, dans cette quête de rente et de privilège, n’est pas prêt à changer un système qui atteindrait ses avantages. Par conséquent, la question qu’on doit se poser c’est comment instaurer un climat serein et pérenne pour permettre à tout un chacun d’entreprendre pour favoriser l’économie, la création d’emploi ?
Les pays qui ont réussi économiquement sont tous passés par la mise en place de ces climats d’affaires. Est-ce qu’à Madagascar, les conditions sont remplies pour favoriser l’industrialisation et les investissements privés ?
Dans une perspective politique, en associant intégralement votre pensée, n’aurons-nous pas à capitaliser en déployant un système plus hybride, tout en y intégrant le libéralisme économique ? L’histoire politique nous démontre, que tout peut être envisageable, j’ai pour pensée ce qui se déploie dans un pays comme l’Arabie Saoudite qui parvient à associer tradition, religion, libéralisme et aussi du patriotisme économique, malgré tous les autres reproches à tort ou à raison, dont fait l’objet la monarchie du Moyen-Orient.
Le libéralisme économique n’est pas un système figé. Son avantage, pourvu que les règles soient instaurées et respectées, c’est sa faculté à s’adapter aux différentes situations. Son essence même c’est la création de richesse et sa capacité à se mouvoir.
Pour en revenir à Madagascar, on est dans un schéma d’un État hybride qui est à la fois d’accès limité (économie à croissance lente, vulnérable au choc, État centralisé, droits personnalisés) et d’accès ouvert pour certains facteurs (économie avec moins de croissance négative, une société civile diversifiée avec un grand nombre d’organisations).
Composer avec la tradition, la religion pourrait être effectivement positif pour booster les effets du libéralisme économique, encore faudrait-il qu’on soit capable aujourd’hui de définir exactement la tradition malagasy car elle est différente selon les régions et comment en tenir compte dans un régime ou le pouvoir et les prises de décisions sont centralisés ? Quant à la religion, grâce à sa multiplicité qui est un phénomène récent (20 ans), elle n’a pas le même impact qu’une religion d’État comme l’Islam qui est millénaire.
Pour faire profiter des avantages du libéralisme économique, il faudrait avant tout satisfaire les
conditions de sa mise en place. À Madagascar malheureusement ce n’est pas le cas.
Soyons désormais plus terre à terre, faisons de la « politique fiction », vous êtes conseiller du Président aujourd’hui, nous sommes en pleine crise sanitaire et économique, quelles sont les 3 mesures prioritaires que vous lui susurrez pour une relance de l’économie malagasy ?
- Constituer de réserve d’OR pour y adosser l’ariary.
- Lutter contre la corruption en faisant respecter la constitution et les lois par l’e gouvernance. Le digital est le meilleur moyen et le plus efficace sas de sécurité pour palier à l’avidité des hommes.
- L’accès à l’eau qui va de pair avec l’autosuffisance alimentaire et l’énergie (urbaine par le biais de l’autoconsommation et rurale) ainsi que la réalisation des infrastructures.
En quoi votre première proposition que vous jugez primordiale et prioritaire, peut-elle avoir une vertu sur le plan économique et pourquoi les autorités actuelles n’y ont-elles pas pensé ou n’y parviennent pas à l’appliquer ?
La valeur d’une monnaie locale dépend d’un des trois facteurs suivants :
- La performance économique.
- Les réserves de devises.
- Les réserves d’OR.
Pour Madagascar, on est loin de remplir les deux critères alors qu’ils s’autoalimentent. Pour rehausser la valeur de l’ariary et booster l’économie, il ne reste que l’OR et le sol malagasy en regorge.
L’Association MOSAIC (Mutuelle d’Organisations Sociétales par l’Action Individuelles et Communautaires) a répertorié 304 localités aurifères. Avec une extraction annuelle de 5 tonnes pendant 10 ans, avec un cours moyen de 50 000$ le kilo (au 5 septembre le cours, il est de 58 775$), le pays pourrait constituer une réserve d’une valeur de deux milliards cinq cents millions de dollars.
Chaque année, par le biais de la banque centrale, l’État pourrait alimenter via les banques secondaires, des crédits à des taux en dessous de 5% en faveur des investissements (privés et publics) et à la consommation.
Pour financer ses Projets d’Investissements Public (PIP), l’État aurait la capacité d’émettre des bons de trésor adossés sur l’OR. Ce qui rassure les épargnants et les fonds d’investissements mondiaux. Les fonds ainsi collectés renforceront l’économie et sa réserve en devises. La combinaison des trois critères favoriserait le cours de l’ariary et sa stabilité.
Je souhaite poursuivre sur ce qui fait les difficultés du contexte malagacho-malagasy indépendamment de la situation actuelle. Pourquoi Madagascar, pays insulaire sans guerre inhérente à un pays voisin gênant, sans guerre civile endogène depuis son indépendance, n’est pas parvenu à éclore économiquement, au cours de ce 21ème siècle. 3 J’insiste sur le volet économique et non sur les autres aspects qui sont et peuvent aussi y être agrégés ?
Une pensée ou une analyse économique se fait dans un cadre global dans lequel, malheureusement, interviennent les actions politiques. On ne peut pas les dissocier si on veut appréhender une situation économique d’un pays.
Un petit rappel : L’objectif principal de l’économie, c’est la création de richesses et d’emplois. Ce processus, pour qu’il puisse se réaliser, nécessite des investissements en outils de production, qui à leur tour mobilisent des financements.
Depuis le milieu des années 1970, les activités économiques malagasy étaient tournées vers le secteur tertiaire qui n’est ni créateur de valeur ajoutée (richesse) ni pourvoyeur d’emplois.
Les responsables des quelques industries (privées ou publiques) ne réinvestissent pas ou ne renouvellent pas leurs outils de production, soit par avidité, soit par incompétence, soit à cause du système bancaire qui est non seulement en manque de capitaux, mais surtout usurier avec des taux d’intérêt à deux chiffres allant de 14% à 20%.
S’y rajoute la faiblesse des revenus salariaux qui ne permet pas de drainer une épargne nécessaire pour financer les investissements et la pression fiscale qui est très basse. À ces faiblesses vient se greffer la défaillance de l’État qui n’arrive pas à fournir des infrastructures indispensables au bon fonctionnement de l’économie telles :
- L’accès à l’eau.
- L’accès à l’énergie.
- La réalisation d’infrastructures routières et maritimes.
De ces constats, la politique a pris le pas sur l’économique qui est devenue secondaire. Les gouvernants successifs, jusqu’à aujourd’hui, ont totalement occulté les atouts domestiques pour relancer l’économie. Ils ont conçu leurs lois des finances et leurs budgets sur les aides internationales. Ce qui est une aberration totale. À force de contracter des dettes non productives, on ne fait que les accumuler dont on n’arrive même plus à payer les intérêts. Ces aides internationales doivent venir en abondement, mais non-être les ressources principales, d’autant plus qu’elles dépendent de la satisfaction des exigences des bailleurs de fonds. Tous les Plans Nationaux de Développement ont été conçus ainsi avec les résultats qu’on connait mais qu’on perpétue malgré tout.
Pour résumer, le retard économique provient de la mauvaise orientation des financements publics vers des projets non productifs et le poids de la dette (source de ces financements) qui s’accumule d’année en année.
Avant d’aborder des questions plus politiques, j’aimerai entendre en toute objectivité un concentré de tout ce qui a été fait de bien par l’ensemble des Présidents malagasy depuis 1960 qui sont au nombre de 11 si nous prenons en compte les « intérims » présidentiels. Vous pouvez citer entre 5 et 11 actions comme socle pour l’avenir. POLITIQUE Madagascar a choisi la démocratie comme l’ensemble des pays francophones en Afrique hormis le Maroc ou le Swaziland notamment. Est-ce que la démocratie demeure le système le plus adapté à notre société, nos valeurs, notre histoire. Si oui, devons-nous y apporter des modifications ou des réajustements, pouvez-vous les citer et développer ?
Pour être objective, il faut distinguer deux périodes : Celle comprise entre fin 1960 au premier semestre de 1975 et celle entre le deuxième semestre 1975 à nos jours. Pour la première période, l’indépendance ne l’est que de nom, car on a procédé à la malgachisation de façade. C’est toujours la continuité de la politique coloniale. Ce qui expliquait le dynamisme de l’économie. La vraie rupture avec la France (Indépendance politique) ne s’est faite qu’à partir du deuxième semestre de 1975 qui a été matérialisée par :
- La sortie du « zone franc ».
- La création de la banque centrale.
Pour dynamiser l’économie nationale, il serait bien de remettre tout à plat et instaurer des actes politiques forts et des règles intemporelles.
- Le premier acte, c’est de revoir la constitution en enterrant le jacobinisme par l’instauration d’Etats fédéraux disposant des pouvoirs élargis hormis les fonctions régaliennes que sont :
- La sécurité intérieure (Police et Justice).
- La sécurité extérieure (Armée)
- La monnaie
- La sécurité intérieure (Police et Justice).
- Constitution de réserve d’OR sur laquelle doit être adossée l’ariary pour assurer sa stabilité et maîtriser l’inflation.
- Revue du système bancaire qui doit être orienté vers le financement des investissements.
- Élargissement des compétences de la Poste, grâce au maillage du territoire, pour collecter les épargnes dans le but de financer les investissements.
- Mise en place de politique d’accès à l’eau et à l’électricité (autant que possible par les énergies renouvelables) qui sont primordiaux pour la bonne marche des autres activités économiques.
- Priorisation de construction des infrastructures routières, marines.
- Développement d’industries de production par filière pour répondre aux besoins locaux.
Constitution d’un pôle digital pour maîtriser l’Intelligence Artificielle, le Big Data et développer les métiers liés aux Entreprises de Services du Numérique (ESN) et des sociétés d’Ingénierie et de Conseil en Technologies (ICT). - Développement de la formation professionnelle initiale et continue
- Développement de la formation pédagogique numérique dans les milieux ruraux pour pallier l’insuffisance des compétences des enseignants.
- Lutte contre la corruption par la mise en place du e’gouvernance.
Pour affirmer ou infirmer que la démocratie est le système le plus adapté pour Madagascar, il faudrait commencer par se mettre d’accord de quelle Démocratie on parle ? Est-ce l’organisation politique dans laquelle tous les citoyens participent aux décisions politiques par le vote, le terme « citoyen » excluant certaines catégories de personnes ou plutôt celle par laquelle « le peuple gouverne pour le peuple ».
Est-ce le peuple ou le citoyen qui est à même de savoir ce qui est bien pour la société ? Quel type de démocratie : La directe, la représentative ou la semi-directe ?
Dans un pays comme Madagascar où la majorité du peuple, loin de la chose politique, est illettrée de par la défaillance du système éducatif, quelle valeur peut-on donner à la notion de Démocratie et quelle est son impact sur l’économie ?
À partir de ce constat, on peut déduire de la nécessité de confier aux « citoyens » l’organisation politique de la cité en excluant une partie du peuple qui serait mise en quelque sorte sous forme de tutelle comme le fait la justice pour les mineurs et les personnes âgées qui ont perdu avec les années, leurs facultés et qui ne sont plus en mesure d’agir dans leurs intérêts aussi bien personnels que patrimoniaux.